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Mise à jour le : 26/01/2024
Avec l'équipe du projet IMAGO, la jeune architecte Emma Penot conçoit un logement étudiant dont tout le cycle de vie est étudié pour être le plus frugal possible.
Tout est parti d’une expérience dans le désert du Moyen-Orient, une aventure « passionnante et éprouvante à la fois ». Alors qu’elle termine ses études à l’école d’architecture de Bordeaux, Emma Penot répond à une offre de stage assez insolite proposée par une équipe d’enseignants-chercheurs de l’université de Bordeaux (voir encadré) : la mission consiste à déplacer, à Dubai, un prototype d’habitat écologique réalisé dans le cadre de la compétition universitaire Solar Decathlon afin qu’il soit implanté dans une partie résidentielle de la ville appelée « sustainable city » (« ville durable »). Sous un soleil de plomb, dans une société où le luxe côtoie sans vergogne la misère, la jeune femme découvre une géographie urbaine totalement différente de ce qu’elle a pu observer jusqu’alors, et comprend de façon très concrète les enjeux de l’habitat dit « résilient ». Ce prototype, BaityKool, accueille depuis régulièrement des étudiants qui en assurent la maintenance, observent son intégration dans la ville, expérimentent le management d’équipe et travaillent sur la boucle de l’eau, la phyto-épuration, l’aquaponie, l’énergie solaire…
« Résilient » : depuis quelques années, le mot est devenu familier, usé jusqu’à la trame par son utilisation en économie, en politique, à tout propos. Dans le domaine de l’habitat, il reprend pourtant tout son sens initial de « résistance aux chocs » et de « capacité à surmonter les traumatismes ». Pour Emma Penot, « on parle d’un habitat parfaitement adapté à son site d’implantation, aussi bien sur le plan territorial qu’écologique ou social ; un habitat qui a le moins d’impact possible - avant, pendant et après sa construction -, et dont tout le cycle de vie a été anticipé pour être le plus frugal possible. » En d’autres mots, il ne s’agit pas d’une usine à gaz autonome mais d’une construction fondée sur des échanges vertueux avec son environnement. Dans ce type d’habitat, les techniques les plus innovantes côtoient le low tech de toilettes sèches ou de matériaux rustiques qui ont fait la preuve de leur efficacité… et de leur résilience.
Quelques temps après cette expérience BaityKool, Emma, jeune diplômée, est recrutée par l’université de Bordeaux pour travailler sur un nouveau projet, IMAGO, conçu pour héberger des étudiants en colocation dans une métropole bordelaise en pleine croissance démographique. L’équipe part d’une page blanche, et les débuts sont « assez rock’n’roll », se souvient Emma, amusée.
C’est tout le charme et la difficulté de la démarche Living Lab dans laquelle s’inscrit le projet : une expérimentation qui implique chercheurs et étudiants, usagers et partenaires industriels, où l’on apprend chemin faisant, où l’on tâtonne, s’enthousiasme, renonce, repart dans une autre direction, jusqu’à ce que prenne forme un objet réellement co-construit - encore un mot galvaudé mais qui, dans le cas du Living Lab, s’avère juste et sincère.
Autour d’IMAGO vont ainsi collaborer des apprentis architectes et ingénieurs des arts et métiers, des étudiants de l’IUT de génie civil, des industriels, un bureau d’études, une agence d’architecture…
Le projet BaityKool, auquel a participé Emma Penot à Dubai, était chapeauté par Philippe Lagière, enseignant-chercheur à l’Institut de mécanique et d’ingénierie de Bordeaux (I2M - université de Bordeaux), et Ferran Yusta Garcia, enseignant-chercheur à l’école d’architecture de Bordeaux. Le projet IMAGO est porté par l’université de Bordeaux dans le cadre du programme ACT. Emma y travaille avec les enseignants-chercheurs Philippe Galimard et Alain Sempey (I2M - université de Bordeaux) et la chercheuse Myriame Ali-Oualla, chef de projet Living Lab habitat résilient à l’université.
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Après le choix du site d’implantation, sur le campus de l’école d’ingénieurs Bordeaux Sciences Agro, l’équipe confie d’abord à des élèves de Sciences Po Bordeaux la mission d’enquêter auprès des étudiants qui vivent déjà sur le site, dans une résidence « classique », pour définir quel serait leur habitat idéal. « On s’est ensuite basés sur la surface de la résidence existante, explique Emma, qu’on a analysée pour trouver quels espaces pouvaient être mutualisés afin de gagner en confort. Notre prototype comprend ainsi deux étages avec, sur chaque niveau, trois chambres - une par angle - et une salle de bain commune dans le quatrième angle du plan. Au niveau inférieur, au centre du plan, se trouvent la cuisine, un espace de vie avec une grande table et l’escalier menant au niveau supérieur, où l’on débouche sur un espace de travail et une zone plus « chill », constituée d’un filet suspendu. Les usages des pièces communes seront de toute façon, comme toujours, déterminés par les habitants. »
En ce début d’année 2024, IMAGO est désormais mûr pour un permis de construire. Afin d’éviter une emprise au sol, le prototype a été conçu pour se greffer sur la résidence déjà existante, en surélévation grâce à un exosquelette en bois issu de la forêt landaise. Les grumes (troncs écorcés) de pins maritimes soutiennent une dalle bois-béton sur laquelle se pose la « boîte habitée », comme une structure sur pilotis. « C’est passionnant ! », s’enflamme Emma, qui admire l’ingénierie déployée et les capacités offertes par le bois. « Les troncs d’arbres sont directement coupés et écorcés en forêt, puis acheminés et appliqués sur le chantier, sans phase de séchage ou d’usinage : en termes d’énergie dépensée, c’est très économe. »
Le projet intègre également de la terre, ramassée directement sur le site duquel elle venait d’être excavée à l’occasion d’un chantier. En découvrant ce matériau, susceptible d’apporter de l’inertie thermique au bâtiment, Emma a pressenti qu’il pourrait servir le projet : « Je suis allée acheter des “big bags” et j’ai demandé de l’aide au service maintenance de l’université qui m’a fourni un camion avec lequel nous avons embarqué 10 tonnes de terre. » La démarche suscite au départ quelques réticences, qu’Emma va bien vite terrasser en s’associant avec une spécialiste locale de la construction en terre crue, Amélie Bourquard, qui lui apprend à tester et à traiter cette terre pour la transformer en briques.
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Dans les mois qui suivent, des ateliers collectifs aboutissent à la fabrication de plus de 300 briques, stockées dans un bâtiment qui jouxte l’Institut de mécanique et d’ingénierie où sont basés Emma et les enseignants-chercheurs qui l’accompagnent. « Il nous en manque encore 500 », constate la jeune architecte, qui se met à griffonner un schéma pour expliquer comment ces briques vont être utilisées, « ici, entre les chambres et les espaces communs, où elles vont apporter de la masse aux murs en ossature bois qui, eux, n’ont pas cette capacité à se charger en chaleur. » Le plastique est, lui aussi, mis à contribution pour l’agencement intérieur et le mobilier du prototype ; du plastique recyclé, bien sûr, transformé en plaques de différentes épaisseurs par une association locale, La Plastiquerie. Toutes sortes de collaborations de ce genre éclosent le long du projet avec des artisans et des industriels locaux, apportant du grain à moudre à la centaine de participants impliqués depuis le début dans IMAGO.
Interrogée sur les prochaines étapes du projet, et sur ses possibilités d’être dupliqué à grande échelle sous la houlette d’un promoteur immobilier, Emma esquisse un sourire et dit espérer que le travail autour du projet IMAGO portera ses fruits, d'une quelconque façon. Certains enjeux, notamment financiers, ne sont pas de son ressort, et elle a appris à maîtriser son impatience, à composer avec certaines lourdeurs administratives, à tirer son épingle d’un jeu passionnant mais complexe, truffé de normes et de contraintes. D’ailleurs, bien que diplômée en architecture, la jeune femme n’a pas encore d’habilitation à la maîtrise d’œuvre. Son parcours atypique lui convient cependant, elle qui aime mettre la main à la pâte et qui se passionne pour cette exploration des matériaux, centrale dans le projet. « C’est une chance, dans mon parcours d’architecte, de prendre conscience que le choix de tel matériau entraîne telles conséquences derrière, sur l’environnement, sur la pénibilité du travail de construction, sur la santé des ouvriers qui en seront chargés. Et captivant de voir qu’avec peu de choses disponibles sur place, on peut faire des projets aussi géniaux que celui-là ! »
Je suis allée acheter des «big bags» et j’ai demandé de l’aide au service maintenance de l’université qui m’a fourni un camion avec lequel nous avons embarqué 10 tonnes de terre.