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L’inspirant succès européen de deux chercheurs bordelais

Mise à jour le :

Isabelle Dupin et Xavier Prévost, professeurs à l’université de Bordeaux et lauréats d’une bourse Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche annoncée ce jour, montrent que créativité et interdisciplinarité peuvent ouvrir des portes à l’échelle européenne. Entre défis personnels, soutien institutionnel et ambitions renouvelées, retour en coulisses sur deux parcours croisés.

Photo : Xavier Prévost et Isabelle Dupin sont tous deux lauréats d'une bourse du Conseil européen de la recherche © Gautier Dufau
Xavier Prévost et Isabelle Dupin sont tous deux lauréats d'une bourse du Conseil européen de la recherche © Gautier Dufau

Ils ne se connaissent pas – encore. Elle est professeure de physiologie ; lui est professeur en histoire du droit. Des disciplines aux antipodes, même s’ils travaillent à quelques kilomètres l’un de l’autre, entre le campus Montesquieu et le site de l’hôpital Xavier Arnozan, à deux extrémités de Pessac, au sud de la métropole bordelaise. Et pourtant, aujourd’hui, Isabelle Dupin et Xavier Prévost sont réunis en tant que lauréats de l’université de Bordeaux d’une bourse Consolidator Grant du Conseil européen de la recherche (ERC). Une des bourses parmi les plus compétitives - 10 à 15% de réussite - et aussi une des plus dotées pour un chercheur, avec près de 2 millions d’euros. Ils ont d’autres points communs même si le projet Kintsugi1 d’Isabelle Dupin s’intéresse à la résilience du poumon alors que ISTHisFrench2, celui de Xavier Prévost porte sur la dimension juridique du mouvement humaniste de la Renaissance.

Tous deux ont étudié dans une École normale supérieure, droit économie gestion (ENS Cachan) pour l’un, biologie, physique, chimie (ENS Ulm) pour l’autre. Une interdisciplinarité précoce qui ne les quittera plus. Xavier Prévost est même devenu chargé de mission interdisciplinarité à l’université de Bordeaux en mars dernier et Isabelle Dupin explique que « c’est un fil rouge qui a construit [sa] carrière ».

Des tremplins vers l’Europe

Tous deux sont aussi membres juniors de l’Institut universitaire de France (IUF), depuis 2020 pour le juriste et 2023 la biologiste. Ce programme récompense chaque année des enseignants-chercheurs pour l’excellence de leurs travaux, leur offre des moyens supplémentaires et réduit leur charge d’enseignement, leur permettant de se consacrer pleinement à la recherche pendant cinq ans. L’IUF incite aussi les chercheurs à prévoir une ouverture vers l’Europe et une bourse ERC, précise l’enseignant-chercheur de l’Institut de recherche Montesquieu (IRM) de l’université de Bordeaux. « L’idée a germé dans ma tête. Avec l’IUF, j’avais pu monter des collaborations internationales et je souhaitais pouvoir continuer à avoir des financements, ma délégation se terminant. J’avais le temps, j’ai tenté ».

Car oui, il est d’usage de penser que l’ERC est une montagne à franchir. « C’est beaucoup de travail, mais pas la montagne qu’on s’imagine » continue celui qui a contacté, dès le printemps 2022, le Bureau Europe du Service de montage et suivi de projets (SMSP) de la direction de la recherche et valorisation de l’université pour un dépôt en décembre 2023. « Selon moi, c’est un dossier qui, inhabituel dans sa méthode de construction pour des chercheurs français, se développe sur une longue période. Beaucoup de choses évoluent entre le début de la rédaction et la version finale. Il est important de prendre le temps d’assimiler, de réfléchir et d’être réceptif à la critique, sans pour autant tout remettre en question. »

Du temps et aussi avoir une question précise, indique Isabelle Dupin. « Si la question n’est pas bien posée, la réponse ne sera pas pertinente. Il faut imaginer avoir tous les moyens nécessaires et bien définir la question de recherche à laquelle on souhaite répondre ».

  • [Portrait] Kintsugi, un souffle de recherche nouveau pour Isabelle Dupin

  • [Portrait] Xavier Prévost redessine les contours de l’humanisme juridique

Des propos approuvés par Alice Recalde, ingénieure en montage de projets au SMSP qui a accompagné la biologiste. « Isabelle a rapidement eu une idée très détaillé de son projet, des collaborateurs qui l'entoureraient pour le mener à bien ainsi que du budget dont elle aurait besoin. Dès notre premier rendez-vous, elle m'a exposé son projet de façon très claire et j'ai été immédiatement convaincue que son projet avait un très fort potentiel de réussite. »

Recherche esprits créatifs et indépendants

Déposer cette demande de bourse lui a permis de prendre du recul, admet la scientifique du Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux (CRCTB)3, de réfléchir à sa carrière et de clarifier ses aspirations pour l’avenir.

 

« C’était une page blanche, c’était effrayant et fascinant à la fois. » Pour elle également, il ne faut pas hésiter à postuler. « Un bon dossier et un projet solide sont essentiels, mais il n’est pas indispensable d’avoir trois articles dans Nature et quatre dans Science. L’ERC recherche des esprits créatifs et indépendants avant tout ». Les deux enseignants-chercheurs soulignent l’importance de l’accompagnement de l’université à toutes les étapes.

Les candidats ont été soutenus pour l'écrit grâce au dispositif Soutien Europe, qui finance un cabinet de conseil externe pour l'aide à la rédaction, complété par un suivi hebdomadaire du Bureau Europe pour le cadrage du projet et gérer les aspects techniques, administratifs et budgétaires. Ce soutien comprend aussi un coaching personnalisé, un "oral blanc" avec des experts, des cours d’anglais, et un coaching en interne pour perfectionner leur présentation. L’oral est un exercice particulier de l’ERC et relativement court : 3 minutes de présentation pour Xavier Prévost, le double4 pour Isabelle Dupin, suivies de questions, le tout en 30 minutes chrono… et en visio face à un panel de 18 chercheurs réunis sur le site de l’ERC à Bruxelles.
Et enfin les résultats ! « Je m’étais préparée à ne pas l’avoir et à rebondir, confie Isabelle Dupin. S’il n’avait pas été retenu, j’aurais trouvé une autre façon de faire ce projet parce que j’y crois beaucoup ». L’ERC s’apparente parfois à des montagnes russes, comme l’a vécu Xavier Prévost. Il s’est retrouvé sur une liste d’attente qui aura duré à peine… 24h ! « Je suis conscient que mon sujet relève en partie de l’érudition, je ne vais pas guérir le cancer, mais la recherche, c’est aussi cela. Soutenir ce type de projet est un vrai pari pour l’Europe, surtout dans une discipline peu financée habituellement. »

Un appel à oser et à ne pas se censurer

Xavier Prévost marque une double première : il est le premier historien du droit lauréat d’un ERC en France et le premier à obtenir une telle distinction en sciences humaines et sociales (hors archéologie) à l’université de Bordeaux, indique Armelle Gaulier, ingénieure en montage de projets Europe et international, qui a accompagné le chercheur.

« C’est un signe très encourageant car on dit toujours que les laboratoires en sciences humaines et sociales ne déposent pas de projets au niveau de l’Europe. Il faut croire que la tendance s’inverse. » Une opportunité que le juriste souhaite pleinement saisir. « Il s’agit d’un tournant dans ma carrière. Il est vertigineux de penser que cela m’amène jusqu’en 2030, avec la possibilité de constituer une équipe et de dynamiser ma discipline. Je suis heureux, le travail a payé » conclut Xavier Prévost.

Une joie partagée par les membres du Bureau Europe qui ont soutenu au quotidien les deux enseignants-chercheurs. « L'obtention de deux nouveaux ERC à l'université est un signe encourageant pour nos résultats sur ce programme, alors que l’université est traditionnellement plus performante sur les projets collaboratifs européens. Il est intéressant de voir que ces succès s'inscrivent dans une trajectoire notable : nos deux lauréats ont bénéficié de tremplins comme l'IUF, et pour Isabelle Dupin, une bourse jeune chercheur de l’Agence nationale pour la recherche (ANR), renforçant leur progression » souligne Camille Le Borgne, cheffe du Bureau Europe. « Grâce au soutien de notre dispositif et des ingénieurs projet, incluant relectures et consultance, ces résultats rappellent aux enseignants-chercheurs qu’ils ne doivent définitivement pas se censurer face aux opportunités européennes ! » Un appel à la communauté donc…

1Kintsugi - Unveiling lung resilience mechanisms: a ground-breaking way to cope with air pollution, doté de près de 2 millions d’euros
2ISTHisFrench - The so-called mos gallicus: In Search of a Transnational History of the « French method of teaching law », doté de plus de 1,8 millions d’euros
3unité de recherche Inserm et université de Bordeaux
4La durée des oraux diffère selon les panels de l’ERC. Il existe actuellement 27 panels répartis en trois domaines principaux : sciences physiques et ingénierie (10 panels), sciences de la vie (9 panels) et sciences humaines et sociales (8 panels)

L’ERC et l’université de Bordeaux

Créé en 2007, l’European Research Council - ERC (Conseil européen de la recherche) attribue chaque année des bourses de recherche individuelles à des scientifiques talentueux. Parmi elles, les appels ERC Consolidator Grant destinés à soutenir des chercheurs ou chercheuses ayant entre 7 et 12 ans d'expérience postdoctorale (ou équivalent professionnel) après leur doctorat. L'objectif est d'aider ces scientifiques, avec une bourse de 1,5 à 2 millions d’euros sur cinq ans, à consolider leur groupe de recherche ou leur projet scientifique, et à atteindre une position de leader dans leur domaine.

328 scientifiques sont récompensés lors de cet appel ERC Consolidator Grant 2024 pour un total de 678 millions d'euros (cf. communiqué de presse de l'ERC en anglais).

Le campus accueille de nombreux projets financés par l’ERC au sein de ses différents laboratoires de recherche, portés par l’université de Bordeaux ou les organismes de recherche (CNRS, Inserm...). 
De son côté, l’université de Bordeaux compte actuellement 5 ERC :

  • 2 ERC Starting Grant (jeunes chercheurs) : Luc Doyon du laboratoire PACEA - De la préhistoire à l’actuel :  culture, environnement et anthropologie (unité CNRS, ministère de la Culture et université de Bordeaux) pour le projet ExOsTech (2024) et Aurélien Bustin, titulaire d’une chaire de professeur junior à l'IHU Liryc pour le projet SMHEART (2022)
  • 2 ERC Consolidator Grant : Isabelle Dupin et Xavier Prévost
  • 1 ERC Advanced Grant (chercheurs confirmés) : Michel Haïssaguerre, fondateur de l’IHU Liryc, professeur en cardiologie à l’université de Bordeaux et praticien hospitalier du CHU de Bordeaux pour le projet HELP (2021)

Contacts

  • Isabelle Dupin

    Professeure en physiologie
    Centre de recherche cardio-thoracique de Bordeaux

    isabelle.dupin%40u-bordeaux.fr

  • Xavier Prévost

    Professeur en histoire du droit
    Institut de recherche Montesquieu

    xavier.prevost%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr