• Recherche

Quand technologie et numérique ne font plus qu’un

Mise à jour le :

Le département Sciences de l’ingénierie et du numérique est un espace où se croisent technologie, informatique et mathématiques, entre ancrage disciplinaire et volonté d'interdisciplinarité. Rencontre avec ses responsables, Bruno Vallespir et Laurent Bessières, pour explorer les dynamiques de recherche qui animent ce domaine.

Photo : Bruno Vallespir et Laurent Bessières (à droite) à la tête du département Sciences de l'ingénierie et du numérique © Gautier Dufau
Bruno Vallespir et Laurent Bessières (à droite) à la tête du département Sciences de l'ingénierie et du numérique © Gautier Dufau

Avec ses cinq laboratoires et ses cinq plateformes de recherche, ses 1350 personnels, dont 700 chercheurs et 480 doctorants, le département Sciences de l’ingénierie et du numérique (SIN) est le plus gros de l’université de Bordeaux en termes d'effectifs dans le panorama des 11 départements de recherche. Son directeur, Bruno Vallespir, professeur en productique à l’université dans l’unité Intégration du matériau au système (IMS)1 aime bousculer les idées reçues sur l’opposition entre ingénierie et numérique, longtemps considérés comme les deux axes piliers du département.
Pour lui, cette distinction n’a plus de sens. « Le numérique ne peut exister sans infrastructure physique : un algorithme, par essence, a besoin d’un support matériel pour fonctionner. Et inversement, toute technologie intègre une dimension numérique. Aujourd’hui, une voiture, c’est un ordinateur sur quatre roues, si l’on veut caricaturer. » Il est intéressant d’envisager le département comme un spectre voire même un continuum, ajoute le directeur-adjoint de SIN, Laurent Bessières, professeur en mathématiques fondamentales à l’Institut de mathématiques de Bordeaux (IMB)1. À une extrémité, on trouve la technologie pure, avec l’Institut de mécanique et d’ingénierie (I2M)2, spécialisé dans la mécanique sous toutes ses formes, des aspects les plus théoriques (acoustique, thermique) aux applications concrètes du génie mécanique. Ce laboratoire intègre, de par sa tutelle Arts et Métiers, une orientation vers l’ingénierie appliquée. En poursuivant sur ce spectre, on rencontre l’IMS, où les deux tiers des recherches portent sur l’électronique. Une discipline qui, bien que technologique, est essentielle au numérique. Plus loin encore, le laboratoire bordelais de recherche en informatique (LaBRI)1 incarne le numérique à l’état pur.

L’interdisciplinarité au cœur du département

Enfin, à l’extrémité du spectre, l’IMB couvre l’ensemble des mathématiques appliquées et fondamentales, de la modélisation et l’optimisation aux équations aux dérivées partielles (EDP), en passant par des domaines plus abstraits comme l’analyse, la géométrie ou la théorie des nombres, qui trouvent aussi des applications, notamment en cryptographie.
Cette diversité d’approches et d’expertises au sein du département ne va pas sans générer des contrastes culturels. « L’IMS et l’I2M relèvent des sciences expérimentales, orientées vers la fabrication d'objets concrets, tandis que les mathématiques fondamentales explorent des concepts abstraits sans toujours une application immédiate », soulignent les deux enseignants-chercheurs.
Quant à Estia Recherche, plus petite des unités de SIN et la seule située hors campus bordelais à Bidart (Pyrénées-Atlantiques), elle couvre toute la partie du spectre à l’exception des mathématiques. Historiquement rattachée à des laboratoires bordelais avant d’atteindre son indépendance, cette unité de l’école consulaire Estia3, forte d’une cinquantaine de chercheurs, est désormais intégrée à SIN par convention avec l’université. Ses travaux, qui s’articulent autour de la fabrication additive, de la circularité et des interfaces durables, la rapprochent particulièrement de l’IMS, de l’I2M et du LaBRI, témoignant ainsi de son ancrage à l’interface entre technologie et numérique.
Cette fusion est plus que jamais d’actualité, explique Bruno Vallespir. L’imbrication des deux est omniprésente, jusqu’aux systèmes cyber-physiques, où la mécanique et le numérique se mêlent intimement, comme dans la robotique. Bien que les centres de gravité des laboratoires soient fortement disciplinaires, la pluridisciplinarité est présente au cœur du département. Des pharmaciens sont présents à l’I2M sur des projets autour de la fabrication de médicaments de même que des biologistes explorent les interfaces avec le vivant et des psychologues travaillent sur des thématiques de cognitique. Le département joue d’ailleurs un rôle clé dans la structuration de l'interdisciplinarité. « Elle est une réalité ici. Quand les mécaniciens travaillent avec les informaticiens, on sort déjà des standards », souligne le directeur de SIN. Le département favorise d’ailleurs des projets collaboratifs, notamment à travers des appels à projets internes exigeant l'implication d'au moins deux laboratoires.

Une ouverture vers la santé et les SHS

S'il joue indéniablement un rôle de relais administratif dans un environnement universitaire parfois complexe – ce que reconnaissent volontiers Bruno Vallespir et Laurent Bessières, l’existence même du département de recherche prend tout son sens dans la mise en œuvre de l’interdisciplinarité voire au-delà parfois dans l’animation de certaines communautés. Parmi les exemples concrets, les deux Réseaux de recherche impulsion (RRI) de SIN, BEST qui explore l'industrie du futur et ROBSYS qui s'intéresse à la robustesse des systèmes autonomes ainsi que le projet autour de l’intelligence artificielle (BAIA)4 illustrent cette dynamique. Les deux premiers arrivent à terme après quatre ans de financement et le dernier n’a finalement pas été retenu au niveau national dans le cadre de France 2030. En bon « producticien », Bruno Vallespir insiste sur le fait que « tous les travaux effectués ne doivent pas être gaspillés » et qu’il faudrait trouver un moyen de pérenniser ces communautés d’une façon ou d’une autre et le département a indéniablement un rôle à y jouer.
Au-delà d’une interdisciplinarité « de proximité » en son sein, le département SIN est naturellement tourné vers les autres départements et l’extérieur. « C’est assez logique car, aujourd’hui, quel domaine ne consomme pas du numérique et de la technologie, explique Bruno Vallespir. Il y a d’ailleurs un fort tropisme vers la santé, domaine pour lequel les unités de SIN ont beaucoup de collaborations. » Pour autant, le département souhaite diversifier ses interactions, notamment avec les sciences humaines et sociales (SHS). Le projet BEST inclut ainsi un volet SHS pour analyser les représentations et les imaginaires du public sur l'industrie du futur. D'autres initiatives, comme l’Observatoire de la surveillance en démocratie de l’université qui réunit juristes, épidémiologistes et spécialistes du numérique, un projet de séminaire autour des laboratoires de SIN et en archéologie ayant travaillé sur la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou encore un projet sur des enjeux d’industrialisation, de réindustrialisation et d’évolution du travail liés aux nouvelles technologies avec le département CHANGES6 sont autant de sujets qui renforcent cette ouverture.

Des compétences mises au service du campus  


Un autre axe fort concerne les transitions énergétiques et environnementales. « Nous avons un vrai rôle à jouer sur ces sujets, notamment sur la proposition de solutions concrètes », explique Bruno Vallespir. Des chercheurs du département travaillent sur la génération et le stockage de l’énergie ainsi que l’analyse et la gestion des données. « Cette réflexion s’applique aussi à nous-mêmes : il ne s’agit pas d’être de simples donneurs de leçons, mais de mettre nos compétences au service du site bordelais », ajoute-t-il. Cela se traduit par le développement d'un jumeau numérique du campus dans le cadre du programme ACT7 ou le suivi de bâtiments universitaires. À l’ESTIA, un projet pilote analyse, en temps réel, la consommation de son propre bâtiment. De même, un projet du département a permis d’exploiter les données énergétiques du bâtiment du CREMI8, équipé de nombreux ordinateurs, pour mieux prévoir et optimiser sa consommation et l’IMS a participé en 2020 au challenge CUBE2020 - Concours Usages Bâtiment Efficace, visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments.

Au-delà des enjeux énergétiques et environnementaux, le département SIN se confronte également à d’autres défis structurels, notamment en matière de mixité comme dans de nombreux domaines technologiques. « Il y a une prise de conscience plus grande qu'il y a 10 ou 20 ans, mais les représentations restent un frein. En mathématiques, les étudiantes voient encore majoritairement des enseignants hommes », regrette Laurent Bessières. Un dispositif spécial « Moi Informaticienne - Moi Mathématicienne » a d’ailleurs été créé au sein de l’université, avec différents partenaires académiques et de recherche, visant à encourager les jeunes filles à s’orienter vers ces disciplines. Côté technologie, c’est surtout l'enjeu du recrutement des doctorants qui se pose, le secteur étant très attractif pour les jeunes diplômés qui intègrent directement le marché du travail dès la fin de leur master.

Enfin, la rapidité des évolutions technologiques impose un rythme particulier aux chercheurs. « Parfois, la recherche ne précède pas l’innovation, mais la suit, remettant en question l’idée d’un processus linéaire où la recherche mène au transfert avant la mise sur le marché », observe Bruno Vallespir. Le lean management, approche née dans l’industrie japonaise pour améliorer l’efficacité en limitant les gaspillages, a été adopté avant même d’être étudié par les chercheurs. C’est aussi le cas de nombreux logiciels de gestion d’entreprise largement diffusés par l’industrie informatique avant d’être analysés par le monde académique. « L'évolution de l'IA, notamment de l’IA générative, repose plus sur les usages et l'acceptabilité que sur de nouvelles avancées théoriques. L'expérimentation est en avance sur la théorie », ajoute Laurent Bessières. Cette réalité oblige les chercheurs à s'adapter, entre liberté scientifique et contraintes industrielles.

1Unité de recherche Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux
2Unité de recherche Arts et Métiers, Bordeaux INP, CNRS et université de Bordeaux
3Estia est une école qui dépend de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) Bayonne-Pays Basque
4Bordeaux Artificial Intelligence Area
5Cet observatoire est un projet de Recherche interdisciplinaire et exploratoire (RIE) de l’université de Bordeaux
6Sciences sociales des changements contemporains
7projet Augmented university for Campus and world Transition (ACT)
8Centre de ressources pour l'enseignement des mathématiques et de l'informatique

Contacts

  • Emanuela Berni

    Chargée d'animation scientifique du département SIN

    emanuela.berni%40u-bordeaux.fr

  • Delphine Charles

    Chargée de communication scientifique

    delphine.charles%40u-bordeaux.fr

  • Sciences de l’ingénierie et du numérique

    Consulter la page du département SIN sur le site de l'université.

Et aussi...

Lire les autres interviews dédiées aux départements de recherche de l'université :